Le pillage de l'épargnant lambda

Au début des années cinquante, quand je suis entré à l'école communale, l'instituteur, M. Dumont, nous a donné une feuille à faire lire par nos parents. Aujourd'hui, on appelle cela un tract. Le texte, lu à haute voir par l'instituteur, incitait nos parents à nous ouvrir un carnet d'épargne à la Caisse Générale d'Epargne et de Retraite (CGER). En bons parents qu'ils étaient, ils m'ont encouragé à épargner. Je ne me rappelle plus si c'était tous les mois ou toutes les semaines. Ce dont je me souviens, c'est que M. Dumont ramassait les carnets le lundi et glissait l'argent à l'intérieur pour les déposer à la poste. En retour, nous recevions nos carnets avec un timbre correspondant à la somme déposée. Cette épargne était fructueuse et pédagogique. M. Dumont exigeait, que toute classe dépose une somme identique afin de gommer les différences entre les enfants issus de milieux sociaux dissemblables. J'ai appris plus tard qu'il n'hésitait pas à mettre la main à la poche pour combler l'épargne d'enfants moins fortunés. Il s'arrangeait ensuite avec la ligue des écoles officielles.

 

C'est lorsque j'effectuais ma cinquième année que les services communaux se débarrassèrent du magnifique corbillard noir de la commune. Auparavant, lors des funérailles d'un citoyen, Anatole, le boulanger qui tenait boutique près de notre école, prêtait son cheval pour le tirer. Derrière le corbillard, le cortège accompagnait le défunt jusqu'au cimetière communal. Par après, on a vu fermer peu à peu les menuiseries qui fabriquaient les cercueils. Puis s'installèrent un peu partout des entreprises de pompes funèbres. Mais, à l'époque, j'étais encore un enfant et j'étais incapable de comprendre que la mort était une des premières proies de la privatisation.

Plus tard, après quelques tentatives d'études dans l'enseignement technique au sein d'un établissement catholique où mes parents eurent la mauvaise idée de m'inscrire, personne ne fit jamais allusion au carnet d'épargne. Je quittais donc cette école qui sentait un peu trop l'encens pour entrer dans le monde du travail. J'avais quatorze ans et je percevais un maigre salaire. Mes parents me conseillèrent cependant de continuer à mettre de l'argent sur mon carnet d'épargne, ce que je fis en dilettante. Plus tard, la CGER ouvrit des agences bancaires un peu partout. Elle devait devenir une banque comme les autres et commença à offrir des comptes à vue. Un jour, elle fut avalée toute crue par la Société Générale de Banque (G-Banque) qui la lorgnait depuis plusieurs années. Les agences de la CGER fermèrent leurs portes et nos comptes à vue et carnets d'épargne suivirent la mutation sans demander notre avis.

Après la perte de mon emploi, mon épouse et moi avons jeté notre dévolu sur une épicerie de montagne tenue par une Belge en France. Nous nous présentâmes alors à la Société Générale pour solliciter un emprunt. Pour la somme souhaitée (qui aujourd'hui semble ridicule), l'employé demanda ce que nous mettions en garantie. Notre habitation d'abord (payée entièrement à l'époque), ainsi que mon carnet d'épargne que j'exhibai fièrement. Il le parcourut rapidement en me riant au nez ! Et vous voulez une telle somme en ne mettant " que ça en garantie " ? Ces quelques mots, dits sur un ton méprisant et condescendant, m'atteignirent droit au cœur. Mes parents qui s'étaient parfois saignés aux quatre veines pour me donner mon épargne ne valaient donc que tripette et la maison dont nous étions propriétaires guère mieux... Au cours des années soixante, la CGER avait pour mission d'octroyer des prêts aux travailleurs à des taux relativement bas afin qu'ils puissent acheter leur logement. Heureusement pour mes parents. Ils en profitèrent pour acquérir leur modeste maison de cité... En 1960, la CGER gérait 13 millions de comptes, dont 7 millions de carnets d'épargne (pour 9 millions d'habitants).

Dès 1980, après plusieurs étapes, dont la mise sous surveillance du capital de la CGER, la fermeture de nombreuses agences, ainsi que la disparition de l'enseigne CGER, la Société Générale fut reprise par Fortis. Cette dernière avait achevé de digérer la Caisse d'épargne. Le professeur émérite Piet Frantzen (VUB), ancien membre de la direction de la CGER, avait qualifié la cession de cette dernière d' " arnaque du siècle ". En trois ans, Fortis avait récupéré l'investissent consenti pour l'achat de la CGER, réalisant ainsi une juteuse affaire. La raison évoquée par nos gouvernants, dont le Parti socialiste, pour justifier la vente de la Caisse d'Épargne était de " s'aligner sur les critères de Maastricht et sauver la sécu ". Un argument qui depuis nous a été servi à satiété.

Jusqu'il y a peu, l'État conservait 25 % du capital de Fortis. On connait la suite. Cette banque joue au casino et se procure des subprimes pourries. On frôle la faillite. L'État vole à son secours, paye ses dettes sur le dos du contribuable. Didier Reynders, ministre des Finances, déclare à cette occasion " par ce geste nous avons sauvé les épargnants et surtout préservé l'emploi ". Ensuite, elle est vendue à BNP Paribas...

Dernièrement, toute honte bue, Elio di Rupo et son ministre des Finances, Koen Geens, vendent les 25 % du capital de BNP Paribas détenues par l'État à l'actionnaire majoritaire. La banque devient à 100% française. Cette vente représente 3,25 milliards d'euros et le gouvernement réalise ainsi une plus-value de 900 millions. Koen Geens, déclare sur la Première RTBF : " C'est un bon deal, grâce à cet apport d'argent nous atteindrons l'équilibre budgétaire de l'État exigée par l'Union Européenne ". Comme un air de déjà entendu...

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