Raoul Hedebouw : "Renforcer les luttes avec les Gilets Jaunes"
Il a fallu attendre une trentaine d'années pour que la chambre des représentants accueille à nouveau en son sein des parlementaires marxistes. En effet, c’était en 1985 que les 2 derniers députés du Parti communiste avaient fini leur mandat. Depuis lors nos enceintes parlementaires ont été plutôt habituées, sauf rares et honorables exceptions, au discours dominant du conservatisme ou d'une social-démocratie qui avait du mal à se différencier. En 2014, Raoul Hedebouw et Marco Van Hees, députés du PTB, sont arrivés à la chambre et ont hérité de cette lourde et belle responsabilité. Et c'est Raoul vétéran des luttes sociales et politiques, malgré sa jeunesse, qui nous livre ses avis sur la situation politique courante.
Le Drapeau Rouge.- L'année qui vient de finir fut le scénario de la remarquable performance électorale de votre parti; ces résultats se traduisent normalement par davantage de responsabilités politiques. Certains disent que votre parti avait des réticences à les assumer; cela aurait été le cas à Molenbeek, notamment. Que répondez-vous et en tout cas, comment comptez vous les assumer cette année 2019?
Raoul Hedebouw.- D’abord, pour nous en tant que Parti du Travail, assumer ses responsabilités c’est avant tout s’impliquer sur le terrain des luttes. C’est mobiliser les gens pour de nouvelles conquêtes sociales, environnementales, éthiques ou démocratiques. Ensuite, le PTB l’a dit avant les élections, pendant et encore après, nous voulons participer à des majorités communales là où nous pèserons électoralement, là où nous saurons mener une politique de gauche authentique et là où il se trouvera des partenaires crédibles avec la volonté de mener avec nous une telle politique. Force est de constater que du côté francophone, le PS n’a jamais eu cette volonté. Comme il l’a annoncé le lendemain des élections, il voulait faire de ces négociations une séquence de « pédagogie » pour démontrer "à quel point le PTB est irréaliste". Finalement, en s’alliant avec le MR là où il n’était pas déjà en majorité absolue, c’est-à-dire à Molenbeek et à Liège, il aura surtout démontré qu’il souhaite poursuivre avec ses politiques du passé et sa vision libérale et marchande de la ville : vendre la ville aux grands promoteurs immobiliers aux dépens d’une politique sociale, environnementale, éthique et démocratique réellement de gauche. Souvenez-vous de la campagne sur Facebook avec le ballon qui se dégonfle, une campagne qui était déjà prête dans la demi-heure qui a suivi la fin des négociations à Charleroi. C’est bien la preuve qu’ils n’y croyaient pas eux-mêmes. Enfin, je suis aussi très content et très fier que le PTB en Flandre ait su « prendre ses responsabilités » (rires) dans la commune ouvrière de Zelzate près de Gand avec deux échevins et un accord de majorité unique en Belgique.
Le DR.- Vous avez déclaré que la vie politique ne devait pas se réduire à celle qui a lieu au sein des institutions et qu'elle se mène aussi sur le terrain des luttes populaires. L'actualité semble donner vie à cette approche avec l‘apparition des « Gilets Jaunes »; que pensez-vous de ce mouvement qui se dit non seulement hors-parti mais, souvent, antipartis et anti-syndicats ?
R.H.- Face au racket fiscal des travailleurs au nom de l’écologie, face à la protection dont bénéficie les multinationales, les banquiers et les actionnaires au sein du gouvernement, face au maintien des privilèges et des salaires exorbitants de ce petit monde politique, face à l’arrogance du gouvernement Michel, ce mouvement a eu raison de se poursuivre et d’accentuer sa mobilisation. Ce mouvement citoyen a donc raison de se lever contre cet « establishment » déconnecté de nos réalités de travailleurs. Qu’il ne se reconnaisse dans aucun des partis traditionnels est donc naturel. Par contre, j’ai entendu beaucoup de soutien au PTB et à ses revendications lors de ma visite des lieux de blocage à Liège. Le PTB mène campagne tambour battant pour l’augmentation du pouvoir d’achat et pour la baisse de la TVA sur les énergies depuis un moment. Quant au caractère antisyndical, je serais très nuancé sur le sujet. Il y a certainement des déçus du syndicat au sein du mouvement des « Gilets Jaunes ». Mais je pense qu’il y a surtout une couche de salariés et de petits indépendants que les syndicats n’arrivent pas à organiser du fait de la multiplication des PME et TPE où aucune représentation syndicale n’existe. Il y a aussi les travailleurs sans emploi qui restent difficiles à organiser vu l’absence d’un lieu qui les rassemble. Et il y a enfin les femmes qui triment dans des mini-jobs partiels et qui sont contraintes de changer régulièrement de boulot. Ce mouvement est donc positif pour renforcer la lutte et j’étais content de voir le 14 décembre dernier des images de fraternisation entre « Gilets Jaunes » et chasubles vertes et rouges.
Le DR.- Le gouvernement Michel a aggravé les attaques contre les droits de travailleurs déjà fort touchés sous la gestion du PS. Quels sont à votre avis les moyens pour le faire reculer sur des décisions telles que l’âge de la pension, la réduction des allocations de chômage et pour inverser l’entreprise de démolition des droits sociaux dans ce pays ?
R.H.- Justement, le pays a besoin d’un large mouvement populaire qui unit le Nord et le Sud, les rouges, les verts et aujourd’hui les Gilets Jaunes, un mouvement qui rassemble tous les secteurs publics et privés, tous les travailleurs avec ou sans emploi. C’est cette unité que l’on doit reconstruire pour aller au combat et pour gagner le combat. Bien sûr il faut des relais politiques, mais la priorité est celle-là : renforcer l’unité nécessaire à une lutte victorieuse.
Le DR.- Le problème des migrations est devenu un des sujets majeurs du débat politique, notamment électoral. On a l'impression que la pensée dominante évite la discussion sur les causes à l'origine de ces migrations (et leurs responsabilités) tout en réprimant ceux qui déploient leur générosité envers ces migrants. Les guerres néocoloniales (Libye, Syrie, Yémen..; les politiques génocidaires d'Israël contre la population palestinienne) sont quasiment absentes dans ce débat. Quelle est votre analyse à ce propos ?
R.H.- Oui pour le PTB, ce sont avant tout les causes de ces crises que nous devons résoudre : arrêter les guerres et laisser les pays du Sud se développer. Les guerres menées par la Belgique et d'autres pays de l'OTAN en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie sont les premières causes actuellement de la crise des réfugiés. Les bombardements en Libye en 2011 ont également déstabilisé l'ensemble de la région: c'est suite à ce conflit par exemple que des groupes terroristes comme Boko Haram se sont retrouvés en possession d'armes de guerres en grande quantité au Nigéria, un des pays d’où proviennent aujourd’hui un certain nombre de réfugiés. Les mêmes partis en Belgique et en Europe qui s’en prennent aux réfugiés ont voté et continuent à soutenir toutes ces guerres. La Belgique doit s'engager dans une diplomatie active et indépendante au service de la paix au lieu de vouloir acheter de nouveaux avions de chasse qui coûtent plusieurs milliards d'euros pour continuer cette politique de guerre. Un commerce mondial non équitable et des dettes illégitimes emprisonnent également les pays du Sud dans un carcan économique. Au Nigeria, pour reprendre cet exemple, le pétrole est exploité par des multinationales européennes et américaines comme Shell, Total, Exxon. L'Europe doit laisser les pays du sud se développer, mettre fin à tous les accords commerciaux et de libre-échange inégaux et injustes, arrêter d’encourager la fuite des cerveaux, annuler les dettes illégitimes et investir dans la coopération au développement. Dire cela n’est pas fuir le débat sur les migrations. Au contraire, c’est vouloir s’attaquer aux racines du problème et dénoncer l’hypocrisie des « va-t-en-guerre » qui regrettent ensuite l’arrivée des réfugiés.
Le DR.- Le récent succès d’Ecolo semble prouver l'éveil des consciences des électeurs sur les questions écologiques. La large mobilisation de 75000 personnes dans les rues de Bruxelles à la veille de la COP24 va également dans ce sens. Comment envisagez-vous la lutte pour limiter le réchauffement climatique ?
R.H.- Si l’éveil des consciences sur les questions écologiques et la large mobilisation pour le climat sont à saluer, les recettes d’Ecolo le sont moins pour véritablement enrayer durablement le réchauffement de la planète. Contrairement aux fables du capitalisme vert, il faut remettre dans les mains de la collectivité les leviers pour opérer la transition durable. Les multinationales n’investissent que s’il y a du profit à se faire, et dans une logique de concurrence et du chacun pour soi. Le PTB a développé tout un plan pour réduire les émissions de CO2 de 60 % d’ici 2030 et garantir une Belgique neutre en carbone d’ici 2050. Un plan autrement plus ambitieux que ce qu’a pu défendre Jean-Marc Nollet au Parlement fédéral. Le plan du PTB se résume en cinq points. Primo, opérer une grande révolution de l’hydrogène. Celui-ci constitue une alternative durable pour stocker l’énergie, comme carburant et même dans la pétrochimie. Secundo, le remplacement intégral des centrales nucléaires par des éoliennes et des panneaux solaires (combiné au stockage grâce à l’hydrogène). Tertio, 10 milliards d’investissements par an dans la transition écologique (5 milliards d’euros d’investissements publics et 5 milliards à faire investir par les 300 grosses entreprises responsables de près de la moitié des émissions en Belgique). Quarto, instaurer la gratuité des transports en commun dans les grandes villes. Et enfin quinto, remplacer les droits d'émissions négociables, qui permettent de spéculer sur le dos de la planète, par des normes d'émission strictes, obligatoires pour les entreprises grosses émettrices de CO2.
Le DR.- Vous mentionniez tout à l'heure le dossier de l'achat des avions de chasse et la préférence donnée à l'option américaine ainsi que la participation de la Belgique dans les guerres parrainées par l'OTAN et l'UE. N'avez-vous pas l'impression que l'opposition à ces comportements, y compris dans la gauche dite radicale, reste en dessous de son importance et de son urgence ?
R.H.- C’est vrai que le « Mouvement pour la Paix » n’a plus connu de fortes mobilisations depuis les mobilisations contre la guerre à Gaza et la seconde guerre d’Irak. Les guerres impérialistes se mènent aujourd’hui au nom de la soi-disant guerre contre le terrorisme. Si la guerre contre l’Irak a été vite perçue comme une guerre pour le pétrole, la guerre contre la Syrie est perçue comme une guerre « juste » contre l’État Islamique, même au sein d’une partie de la gauche. Or, les intérêts géostratégiques de contrôle du Moyen-Orient et la volonté de stopper le projet de gazoduc Iran-Irak-Syrie sont une des raisons véritables de cette guerre meurtrière. L’OTAN et l’UE n’ont jamais eu comme projet de défendre un quelconque « projet démocratique ». Le nouveau Moyen-Orient dont ils parlent c’est un Moyen-Orient asservi, dépossédé de ses ressources énergétiques et avec Israël comme gendarme local au service de leurs intérêts impérialistes. Les messages guerriers et sans ambages de Trump ont cet avantage d’être explicites et limpides : l’OTAN doit être au service de la défense des intérêts des multinationales américaines. Comme lors de la dernière mobilisation contre sa venue à Bruxelles, le PTB restera actif dans le Mouvement pour la Paix pour défendre une autre politique internationale, orientée sur la négociation et la diplomatie, une politique qui remet en cause le partenariat de la Belgique avec l’Otan et toutes ses guerres.
Le DR.- La question de l'intégration européenne, et dans ce cadre, de l'appartenance à la monnaie unique, devient chaque jour un sujet d'une plus grande actualité, particulièrement à l’approche des élections européennes. L'émergence d'une droite dure radicalement eurosceptique est également très interpellant. Pourtant, il existe aussi et depuis un bon moment une approche de gauche favorable à la sortie de l'Union européenne et de l'euro. Quel est votre analyse à ce sujet ?
R.H.- Pour nous, le défi de la gauche européenne est d’oser formuler des critiques plus fortes à propos de l'Union européenne, son fétichisme du marché, ses traités où sont gravés la concurrence et la chasse au profit, son militarisme. Mais, parallèlement à cela, nous devons aussi défendre nos propres propositions positives et traduire celles-ci en campagnes et actions là où c'est possible. « Le travail parlementaire ne peut jamais être un point de départ ou une fin en soi », a dit Peter Mertens lors du meeting de la gauche européenne qui s’est tenu à Bruxelles en novembre passé. « Mais, au départ du groupe GUE/NGL au Parlement européen, nous pouvons soutenir les mouvements de lutte, leur donner une traduction politique et représenter pour eux une force d'espoir. ». Plus que d’euros ou d’union européenne, nous avons surtout besoin d’union des luttes européennes pour reconstruire un avenir commun de paix et de progrès social, écologique et démocratique dans une Europe juste et solidaire. C’est la première étape de la construction d’une Europe socialiste 2.0.
Propos recueillis par Vladimir Caller