Récit d’une espérance entravée – La Global March to Gaza vue de l’intérieur

Bruxelles, 12 juin 2025 – Aéroport de Zaventem

L’atmosphère est étrange, presque oppressante, dans la salle d’embarquement du vol vers Le Caire. Les visages familiers croisés lors de précédentes manifestations pour la Palestine se retrouvent. Les regards se frôlent mais évitent de se fixer, comme pour ne pas trahir une intention commune déjà suspectée. La peur d’être intercepté avant même le décollage plane dans les esprits.

Nous avons attendu ce moment pendant longtemps. Nous, citoyens du monde épris de justice, trop souvent réduits au silence par l’impuissance. La Global March to Gaza était notre cri collectif : plus de 4 000 militants venus de plus de 50 pays réunis pour dénoncer le blocus de Gaza et porter un message de solidarité au peuple palestinien — dans la paix, mais avec détermination.

Arrivée au Caire. Derrière des sourires forcés et des attitudes de touristes de circonstance, la tension est palpable. À l’aéroport, des militants sont isolés, interrogés, expulsés. Moi-même, retenue pendant quatre heures, j’émerge épuisée mais soulagée d’avoir franchi ce premier obstacle. Ce que je ne savais pas encore, c’est que l’enquête ne faisait que commencer.

Le premier taxi, l’hôtel changé en dernière minute, les visages scrutés. Tout semblait orchestré pour regrouper les « suspects ». Puis, le lendemain — 13 juin — les espoirs s’éloignent brusquement : l’attaque d’Israël contre l’Iran déclenche un durcissement sécuritaire sans précédent. Contrôles, interrogatoires, fouilles de téléphones… même une simple photo à la place Tahrir suffit pour être suspectée.

Des militants sous surveillance. Au fil des jours, la société égyptienne semble se métamorphoser en une gigantesque machine à surveiller. Les regroupements sont dissous, les bus affrétés sont annulés, les logements Airbnb refusés à l’arrivée. Certaines délégations sont agressées devant les forces de l’ordre, d’autres expulsées sans sommation.

Jour après jour, l’espoir s’amenuise, comme un mirage qu’on tente d’atteindre mais qui s’éloigne toujours plus.

Message du 16 juin – Avertissement ultime

“Nous déconseillons vivement toute action de protestation. Le gouvernement pourrait autoriser les départs. Mais toute initiative vous expose à une possible détention ou expulsion. Des rumeurs font état d’une autorisation de tir.”

À ce stade, l’indignation dépasse la peur. Je ne peux pas partir sans rien faire. Ce jour-là, je retrouve mon ami Tarek, palestinien. Je lui demande de rencontrer les enfants gazaouis réfugiés en Égypte depuis le 7 octobre 2023. J’ai besoin de les voir, de les écouter, d'entendre leurs récits et de porter leurs voix de l’autre côté du mur du silence.

Ma marche change alors de trajectoire : elle devient celle d’un témoin, d’une passeuse d’histoires. De ceux qui ne peuvent plus crier, parce qu’ils sont enfants, meurtris, vivants en apnée.

Et puis il y a Mona. Petite voix dans le tumulte. Elle ne parle pas de politique, ni de guerre — elle parle de sa maison, de sa grand-mère, de ce qu’on lui a arraché sans préavis.

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Cuba, ouragans et punitions

Alors que l’ouragan Oscar approchait de ses côtes, Cuba a connu le 18 octobre dernier une panne de courant géante qui a plongé dans le noir la quasi-totalité de sa population et ce, alors que le pays vit sa plus importante crise sociale, économique et alimentaire depuis le triomphe de la révolution. La vétusté de son réseau électrique, expression concrète du blocus criminel que connaît le pays, explique dans une large mesure ce dramatique épisode. C’est l’occasion de faire un peu d’histoire.

Elle vient de loin, de très loin même, la démarche colonialiste des États-Unis par rapport à Cuba. Leurs relations ont commencé à un moment où les deux pays vivaient des processus très contrastés. En 1898, l’île des Caraïbes menait sa lutte d’indépendance nationale contre le colonisateur espagnol tandis que les États-Unis, libérés du joug britannique, étaient en train d’achever l’expansion fulgurante de leur territoire par des moyens militaires ou non.

C’est ainsi qu’après la Louisiane prise aux Français, la Floride et Porto Rico aux Espagnols, le Texas et la Californie aux Mexicains, l’Alaska aux Russes, ils mirent le viseur sur l’île de Cuba, territoire particulièrement riche en canne à sucre et tabac et où des investisseurs étatsuniens avaient commencé à placer des sommes importantes dans l’intention de prendre le contrôle total. Le souci étant qu’à la différence avec d’autres territoires conquis, la petite Cuba était en pleine guerre contre un empire ibérique encore puissant. C’est dans ce « détail » que va naître un des grands paradigmes qui vont nourrir le justificatif de la longue histoire de l’impérialisme étatsunien. En effet, pour avoir accès au sucre cubain, il fallait alors chasser les Espagnols, leur faire la guerre. Pour la faire, il fallait obtenir le soutien du peuple américain de manière à justifier la campagne de conscription...

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Assange : Le combat n'est pas terminé

Notamment grâce à la ténacité de citoyens attachés à la liberté de presse, Julian Assange a finalement été libéré. Il n’en a pas moins été déclaré coupable d’avoir dénoncé des crimes de guerre. En fin de compte, son combat pour la liberté de l'information lui a coûté des années de privation de liberté sans compter les souffrances qu'il a endurées sachant qu’il risquait un nombre d’années de prison largement supérieur à la durée normale d’une vie.

Croire que tout est bien qui finit bien serait cependant une erreur. 

Concernant Assange, Laurent Dauré dans Le Monde Diplomatique de ce mois [i] nous présente un bilan du manque de soutien et même des attaques contre Assange par une presse aux ordres pendant son incarcération et depuis sa libération.

Plus généralement, en plusieurs endroits du monde, la liberté de la presse, et des médias en général, est déjà – ou commence à être mise – sous pression. En France, des atteintes à la liberté de la presse sont signalées par Mediapart.[ii] De son côté, Serge Halimi dénonce le pouvoir du monde politique et économique sur les médias [iii]. Il a également tourné un film à ce sujet.[iv]

En Allemagne, le quotidien Junge Welt a été classé comme étant d'extrême-gauche et, de ce fait, comme ennemi de la Constitution.[v] La Belgique n'est pas en reste : G.-L. Bouchez (MR) a annoncé une réduction des dotations de la chaîne publique RTBF. [vi]

N'oublions pas que « une presse indépendante et libre est un pilier fondamental de notre démocratie »[vii]...


[i] Dauré, L. : Les médias contre Julian Assange (août 2024) : https://www.monde-diplomatique.fr/2024/08/DAURE/67286

[ii] https://www.mediapart.fr/journal/france/200923/liberte-de-la-presse-macron-contre-ceux-qui-se-battent-pour-ecrire-la-verite

[iii] Masson, T. : Serge Halimi : « En temps de crises, il y a très peu d'espace pour un discours critique dans les médias » dans : Solidaire, n° 3, pp. 48-51.

[iv] Serge Halimi e.a. : Les nouveaux chiens de garde, 2012, film : https://www.youtube.com/watch?v=dLMDGEfAruY.

[v] https://www.jungewelt.de/artikel/479907.pressefreiheit-worauf-es-jetzt-ankommt.html

[vi] https://www.7sur7.be/belgique/un-echange-anime-prise-de-bec-entre-georges-louis-bouchez-et-jean-paul-philippot-a-la-sortie-dun-studio-de-la-rtbf~a8df0c00/

[vii] https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/07/24/que-reste-t-il-comme-emission-rtbf-de-service-public-a-la-sortie-dun-studio-lechange-muscle-entre-georges-louis-bouchez-et-jean-paul-philippot-CN3KZBLZMVGBXPES444JKWFTJU/

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La Cour Européenne contre le syndicalisme ?

Une grève générale en octobre 2015 a provoqué le blocage de l'autoroute E40. Un chirurgien appelé à se rendre en urgence à un centre hospitalier se trouvait parmi les automobilistes bloqués et n'a pu arriver à temps à son lieu de travail pour sauver une patiente. Suite à cela, plusieurs membres de la FGTB, dont le président, Thierry Bodson, ont été condamnés pour « entrave méchante à la circulation ». Les condamnés sont allés en Cassation contre cette condamnation. La Cour de Cassation les a déboutés. Ils se sont alors adressés à la « Cour Européenne des Droits de l'Homme » qui les a également déboutés.

Il est vrai qu'une personne est décédée. C'est un fait très grave qui aurait pu et dû être évité. Ce n'est sans doute pas par hasard que l'obligation de garde, c'est-à-dire de la présence d'un médecin à l'hôpital, a été prévue dans le projet de la « Loi Qualité » initiée par la ministre de la santé, la Dre M. De Block, quelques années plus tard. En effet, la route vers l'hôpital peut être bloquée par un accident, l'effondrement d'un pont, une inondation, l'incendie d'un restaurant qui la surplombe, un chantier etc. Le médecin peut avoir lui-même un accident ou une panne de voiture voire un malaise et perdre trop de temps à cause de cela.

Mais qu'est-ce qui empêche d'équiper les médecins d'un gyrophare qui leur donnerait la priorité comme aux autres véhicules de secours de même d'ailleurs qu'aux véhicules banalisés de la police ? Faut-il rappeler qu'il y a environ un demi-siècle, Touring Secours avait déjà réclamé, dans son journal jaune de l'époque, une telle possibilité pour les médecins...?

Les différents tribunaux, ont-ils cherché le vrai coupable ?

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Crise au Venezuela : Le pourquoi et le comment…

Les données de la Banque mondiale (BM) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) concernant l’évolution de la situation économico-sociale du Venezuela sont assez édifiantes et de nature à nous permettre d’esquisser des explications ignorées, ou plus souvent évitées par le système médiatique, à propos de la crise politique que connaît ce pays.

Suivant la BM, la population du pays, qui diminuait régulièrement depuis 2017 (moins 2,9 % annuel en 2019), a augmenté de 1,9 % en 2023 et ce, notamment, grâce aux nombreux retours de ceux qui avaient quitté le pays. Le taux annuel négatif des migrations – un peu plus de 1,3 millions de personnes en 2018 – est devenu positif en 2023 – environ 320.000 [[1]]. Le taux de chômage n’était que de 5,5 % en 2023 (il est de 5,8 % en Belgique). Le nombre d’homicides qui était de 48 sur 100.000 personnes en 2018 est descendu à 19 sur 100.000 en 2023 ; et surtout l’inflation, la mère de toutes les misères, l’icône dont tous les médias se gaussaient pour dire du mal du pays et qui avait atteint le chiffre surréaliste de 833.997 % en 2018 est tombée à 69,5 % en 2023 [[2]].

Le PNUD va dans le même sens. Dans son rapport « Performances macroéconomiques du Venezuela au premier trimestre 2024 et perspectives pour l'année 2025 », le PNUD pronostiquait pour le pays, exactement un mois avant les élections, une croissance de 4,2 % pour l’année 2024 (celle de la Belgique est estimée à 1,4 %). Le rapport indique que la production du pétrole a augmenté de 18,4 % en 2023, que le dollar USA s’est stabilisé dans le marché de changes (il était à 637 ‘bolivares’, la monnaie nationale, par USD en 2018 il est à 36, aujourd’hui-NdlR) et, surtout, que la recette fiscale du 1er trimestre 2024 avait connu une augmentation de 161 % en comparaison avec celle de 2023 [[3]].

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6 juin 2024, une nouvelle atteinte à la mémoire collective

En juin 2022, le Président Macron déclarait qu’il fallait privilégier le dialogue pour ne pas « humilier la Russie ».

En juin 2024, en refusant d’inviter une délégation russe au 80e anniversaire du débarquement des alliés en Normandie, il se prête à une nouvelle manipulation de l’histoire.

Par ce refus, Macron donne des arguments à Poutine qui ne manquera pas d’interpréter cet affront comme une humiliation du peuple russe pour justifier sa politique d’affrontement avec l’Occident. Même si nous désapprouvons l’intervention de la Russie en Ukraine, l’absence d’une délégation russe est un affrontaux16 millions de civils et aux 11 millions de combattants de l’armée rouge des peuples de l’URSS qui furent victimes du nazisme. C’est un geste de mépris aux travailleurs soviétiques qui, dans des conditions de vie extrêmes, ont su forger les armes de la victoire. C’est une insulte aux survivants, qui ont dû faire face aux conséquences des destructions incalculables, lesquelles n’ont jamais donné lieu à la moindre indemnisation.

Cette nouvelle atteinte survient après l’interprétation éhontée du pacte germano- soviétique que la droite et ses médias nous présente comme une alliance entre les nazis et les soviétiques. Une interprétation qui efface la scandaleuse sollicitude dont Hitler a bénéficié de la droite française et anglaise dans les années trente

Elle s’inscrit dans l’utilisation de la famine de 1932 assimilée comme un génocide perpétré par le pouvoir soviétique contre le peuple ukrainien.

En Belgique, la volonté de ne plus célébrer le 8 mai 1945 comme victoire sur le nazisme va dans le même sens. L’objectif est d’effacer de la mémoire collective que le 8 mai 1945 a créé un rapport de force favorable aux forces de progrès, dont les mécanismes ont permis une formidable élévation du bien-être des travailleurs dans l’après-guerre concrétisés par des conquêtes sociales qui sont de plus en plus remises en cause.

La présence d’une délégation russe à la commémoration du 6 juin 1944, aurait permis aux vétérans américains anglais et français qui ont survécu au débarquement en Normandie, de rencontrer les derniers survivants des batailles de Stalingrad et de Koursk, sans lesquelles, les débarquements en Afrique, en Sicile, en Provence et en Normandie n’auraient jamais eu lieu.

Vu le grand âge de tous ces braves, leur rencontre était l’ultime occasion d’amorcer un dialogue entre l’Ukraine et la Russie pour désactiver l’escalade belliciste et le climat de russophobie.

Malheureusement, Macron en a décidé autrement. Aujourd’hui, il ne plaide plus pour le dialogue, il évoque la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine pour combattre la Russie.

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