"Je ne haïrai point"
Dr Izzeldin ABUELAISH, Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix
Le Théâtre de Poche met en scène une adaptation du livre d’Izzeldin Abulaish « Je ne haïrai pas .» C’est l'œuvre d’un médecin originaire du camp de Jabalia dans la bande de Gaza, gynécologue obstétricien mondialement reconnu comme spécialiste du traitement de l’infertilité chez les femmes qu’elles soient arabes ou juives.
C’est sa raison de vivre. Il a constaté qu’un taux de fécondité très élevé en Palestine est curieusement lié à un nombre record de femmes stériles. Au Moyen Orient, comme ailleurs, la femme stérile est véritablement exclue. Pour les mères juives, arabes ou bédouines, la souffrance qu’elles endurent n’a d’égale que la joie de porter une maternité à son terme. En tant que médecin, ce qui lui importe le plus, c’est la vie humaine. : « Je ne connais rien de plus beau que de mettre un enfant au monde et de le remettre dans les bras de sa mère.»
Ayant appris l’Hébreu, il est le premier médecin palestinien à exercer en Israël malgré les tracasseries, chicanes et humiliations infligées aux Palestiniens par les sinistres « check points » lors de la traversée de la frontière entre la Palestine et l’État hébreu. En septembre 2008, il perd son épouse emportée à 47 ans par une leucémie foudroyante sans avoir pu l’assister dans ses derniers instants à cause justement des difficultés imposées lors du passage de la frontière de Palestine en Israël.
Au contraire, il n’a de cesse de jeter des ponts entre Israéliens et Palestiniens. Les deux peuples ne sont pas vraiment différents. Ils peuvent cohabiter à condition de refuser la haine, le repli, la peur. À l’origine de la haine, il n’y a souvent qu’un malentendu.
Dans une interview donnée à Anne Brunswic à Toronto où il s’est installé depuis plus d’une dizaine d’années, il a déclaré : « La haine est un poison, une maladie qui ne conduit qu’à plus de haine, plus de violence et, pour finir, au désespoir. Moi, je continue à croire qu’une solution juste peut s’imposer, que la solution peut se débloquer. Tout est possible, sauf faire revenir mes enfants à la vie. »
Pour lui, seuls le dialogue et l’éducation peuvent garantir la paix. Onze jours après l’entrée des tanks israéliens à Gaza, lors de l’opération « plomb durci » le 16 janvier 2009, tout n’est plus qu’incendies et ruines. Une explosion retentit à 16h45 au domicile du médecin. Dans une fumée suffocante, Izzeldine parvient à ouvrir la porte de la chambre de ses filles. Il découvre le carnage: trois de ses enfants Bessan, Mayar, Aya et leur cousine Noor baignent dans leur sang. D’autres enfants sont grièvement blessés. Désemparé, Izzeldine appelle son ami Shlomi Eldar, journaliste qui est en train d’interviewer la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni. Il prend l’appel alors qu’il est en direct au milieu du journal télévisé. Au bout du fil, il entend un homme désespéré: « Ils ont bombardé ma maison. Ils ont tué mes filles. Shlomi, j’aurais voulu les sauver, mais elles sont mortes. Elles ont été touchées à la tête et sont mortes sur le coup. Allah, que leur avons-nous fait? »
Les routes sont fermées, impossible d’aller jusqu’à la frontière. Comment sauver les blessés, comment s’en sortir?
Heureusement, Shlomi Eldar parvient à téléphoner à l’administrateur du passage d’Erez en le suppliant d’ouvrir la frontière pour permettre aux blessés d’être évacués vers un hôpital et aux ambulances de passer. Sur les conseils de ses amis israéliens, il a déposé plainte contre l’armée israélienne. Celle-ci s’obstine à nier sa responsabilité, accusant le Hamas d’avoir provoqué Tsahal en tirant depuis le toit du bâtiment. Cette version a été formellement démentie demandant comment les tirs de l’armée auraient riposté à ceux du Hamas, soi-disant sur le toit, en atteignant le deuxième étage de l’immeuble qui en compte cinq. L’armée a persisté dans son mensonge en accusant les habitants de l’immeuble de cacher des armes, à quoi Izzeldin Abuelaish a rétorqué: « Les seules munitions qui se trouvaient dans la chambre de mes filles, c’était de l’amour, de l’espoir, et des rêves. » La plainte est demeurée lettre morte.
La colère est une émotion, elle se distingue de la haine. Sil peut être légitime de ressentir de la colère; positive elle ne peut accepter aucune forme de haine ou de vengeance. Elle ne s’approche jamais de ce mal que le médecin assimile à une maladie incurable. Pourquoi haïr? « Mais quels Israéliens haïr? Les médecins et les infirmières qui ont donné des soins à mes enfants avec beaucoup de dévouement? » Comment haïr ?
C’est pourquoi Izzeldin n’appelle ni à la haine ni à la vengeance. À présent, il continue ses activités de médecin tout en donnant des conférences à travers le monde, au parlement européen ou aux États-Unis, devant des clubs juifs américains, il sillonne le monde pour affirmer ses valeurs et ainsi forger un bouclier contre la haine.
L’idée de quitter gaza n’a pas été une décision facile à prendre mais la prise de pouvoir par les islamistes du Hamas et l’imposition du blocus par Israël en 2007 ont achevé de le convaincre. Les Gazaouis ne quitteront cependant jamais ni son coeur ni son esprit. Le 21 juillet 2009, il quitte Jabalia, avec sa famille et le lendemain, il emménage à Toronto. Pour l’heure, ses deux filles aînées, Dalal, 20 ans, et Shatha, 19 ans se sont inscrites à l’université de Toronto en génie civil-architecture et en informatique. Mohammed, 14 ans, fréquente depuis la rentrée un collège canadien. Les cadets, Raffah, 10 ans, et Abdullah, 7 ans, vont à l’école primaire. Sa priorité est et reste le bonheur de ses enfants.