TONI MORRISON, une vie, une œuvre
Artiste, auteure de livre pour enfants, critique littéraire, dramaturge, écrivaine, éditrice, enseignante, essayiste, femme d'affaire, journaliste, librettiste, nouvelliste, professeur de littérature, Toni Morrison nous ramène constamment au monde.
L’art est politique, la langue est politique, écrire est un acte politique, la lecture est un acte politique, c’est un acte de révolte. Le lecteur impliqué dans le processus de fabrication du livre, participe à l’intérêt que l’on porte aux affaires de la Cité, de l’État. La romancière américaine Toni Morrison s’est éteinte à l’âge de 88 ans. Chloé Wofford de son vrai nom (celui du planteur, « maître » de ses grands-parents esclaves), est née le 18 février 1931 à Lorain, petite ville industrielle de l’Ohio. C’est lors de sa conversion au catholicisme à l’âge de 12 ans, en mémoire de St. Antoine de Padoue, qu’elle prend pour nom de baptême Anthony, abrégé en Toni. Mariée en 1958 à l’architecte, Howard Morrison, elle divorce 6 ans plus tard mais conserve son nom d’épouse. Chloe Wofford prend comme nom de plume, Toni Morrison.
À l’issue de ses études, elle se consacre à l’enseignement, elle tient d'abord une chaire en littérature à l’université de Texas Southern puis à Howard, alors réservée aux Noirs. Elle termine enfin cette carrière universitaire à Princeton. Éditrice chargée de la littérature noire chez Randon House, on lui doit l'édition des autobiographies de Mohammed Ali et d’Angela Davis. C’est en 1970, à 39 ans que paraît le premier de ses onze romans, The Bluest Eye, (L’Œil le plus bleu), au succès fort limité (700 exemplaires vendus). Une gamine de 11 ans, rêve d’avoir les yeux bleus de Shirley Temple et finit aveugle, folle et persuadée d’avoir un regard couleur cobalt, grâce à l’opération d’un charlatan. C’est le livre le plus pessimiste de Toni Morrison.
La célébrité viendra en 1977 avec son troisième roman Song of Solomon, (Le Chant de Salomon) qui lui vaut le Book Critic Circle Award. La famille Mort, un curieux patronyme attribué aux affranchis lors de l’abolition de l’esclavage, habite une petite ville au nord des États-Unis. Macon Mort est propriétaire de plusieurs logements qu’il loue à des pauvres diables, son fils surnommé « Laitier » (sobriquet dû à la durée anormalement longue de son allaitement maternel!) encaissant les loyers. Fuyant l’atmosphère haineuse et raciste de la petite ville, il part vers le sud à la recherche de l’hypothétique trésor provenant de sa tante. Errant entre passé et présent, il rencontre ses origines malgré le déracinement opéré par les décennies d’esclavage. Parti à la recherche de lingots d’or, il retrouve son identité incarnée dans une comptine pour enfants : "le chant de Salomon". Il se souvient :
« […] Oh Salomon, me laisse pas ici
Des balles de coton pour m’étouffer
Oh Salomon, me laisse pas ici
Les bras du maire vont me mettre le joug
Salomon s’envola, Salomon s’en alla
Salomon traversa le ciel, Salomon rentra chez lui. »
Le trésor qu’il recherche n’est autre que cet héritage.
10 ans plus tard, son 5e roman, "Beloved" lui vaut le prix Pulitzer. C’est le récit atroce d’une ancienne esclave qui, au XIXe siècle, dans un acte de violence et d'amour maternel, égorge sa propre fille pour lui épargner d'être asservie à son tour. En 1993, l’académie royale de Suède lui décerne le Nobel de littérature pour récompenser l’ensemble de son œuvre que caractérise « une force visionnaire et la grande puissance poétique qui ressuscite un aspect essentiel de la réalité afro-américaine ». Si elle est le premier écrivain afro-américain à obtenir cette distinction, elle se place dans une histoire de la littérature afro-américaine riche de nombreux auteurs: James Baldwin, Frantz Fanon, Chester Himes, Maya Angelou...
Toni Morrison a exploré toutes les époques de l’histoire des Noirs américains et a également fait de nombreuses conférences à propos des personnages noirs dans la littérature américaine.
Sa langue rude mais radieuse et contenue, plonge dans la mémoire douloureuse de l’esclavage, de la ségrégation et des discriminations. « En tant qu’écrivain, je n’ai pas le pouvoir sur l'avenir mais je peux changer le passé par le langage ». Elle refuse les stéréotypes disant: "Black is beautiful, OK, mais c’est aussi un stéréotype, et je n’ai jamais voulu me conformer à la vision qu’un autre avait de moi-même. Mon truc à moi, c’était plutôt d’éliminer l’oppression de mon esprit" ( interview de Laurence Lemoine pour le magazine Psychologies).
Cette littérature riche unit puissance et profondeur. La langue y est travaillée, ses textes sont solides, ils exigent la collaboration du lecteur et une grande concentration de sa part.
Comme l’observait Christiane Taubira, l’oeuvre de Toni Morrison dénote un irréductible optimisme parce qu’elle voit loin. Sa capacité de résistance demeure inébranlable.
Elle avait déclaré au quotidien The Telegraph, à propos de plusieurs bavures policières qui venaient d’avoir lieu aux Etats-Unis : « Je veux voir un flic tirer sur un adolescent blanc et sans défense. Je veux voir un homme blanc incarcéré pour avoir violé une femme noire. Alors seulement, si vous me demandez : “En a-t-on fini avec les distinctions raciales ?”, je vous répondrai oui. »