L'«importance de la mémoire» pour organiser l’amnésie européenne

Sous le titre innocent de "L'importance de la mémoire européenne pour le futur de l’Europe", le parlement européen a approuvé à une large majorité ce 19 septembre une résolution qui représente une édifiante réécriture de l'histoire.

Les parlementaires y affirment d'emblée que "le pacte germano-soviétique ou pacte Molotov-Ribbentrop [a ouvert] la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale". Au cas où on penserait avoir mal lu, c'est réaffirmé un peu plus loin : "la Seconde Guerre mondiale a été déclenchée comme conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique". Oublié Munich, les compromissions de l'Europe avec Hitler, en particulier le rejet des démocraties bourgeoises de l'alliance proposée par l'URSS... Oublié les pactes séparés de non agression anglo-allemand (30 sept 38) et franco-allemand (6 décembre 38)

Complètement 'oublié' en particulier, dans ce texte sur 'l'importance de la mémoire', le rôle fondamental de l'URSS dans l'écrasement du nazisme et la libération de l'Europe du fascisme. Au contraire, la résolution présente l'URSS comme alliée de l'Allemagne nazie et procède constamment à l'assimilation du communisme avec le fascisme : comment, pour les Parlementaires européens, les idéaux d'égalité entre les hommes, d’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, sont indifferentiables de la glorification des classes, la domination ‘naturelle’ d’une ‘peuple supérieur’, et de l'élimination des 'êtres inférieurs'.

« Les régimes communistes et nazi sont responsables de massacres, de génocide, de déportations, de pertes en vies humaines et de privations de liberté d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, qui auront à jamais marqué le XXe siècle ». Oubliés de larges pans de la glorieuse histoire européenne, faites de croisades, conquêtes, génocides, asservissements à la canonnière de peuples entiers… L’importance de la mémoire européenne se montre bien amnésique, en particulier sur la colonisation, dans la lutte contre laquelle l’Union Soviétique a été un acteur essentiel et un modèle à travers tout le Tiers Monde, un exemple concret d'un pays sortant du sous-développement en quelques décennies, et par ses propres moyens.
Comme l’exprimait Domenico Losurdo, le crime principal du Nazisme aux yeux des puissances coloniales d'alors, était peut-être surtout qu’il appliquait leurs propres pratiques coloniales à des Européens mêmes...

Les élus de l’Europe libre et démocratique se réjouissent que "dans certains États membres, la loi interdit les idéologies communistes", ou "ont interdit l’utilisation de symboles communistes", et poussent à la repentance totale des états qui défendraient un tant soit peu leur passé communiste : « la Russie reste la plus grande victime du totalitarisme communiste et sa transformation en un État démocratique sera entravée aussi longtemps que le gouvernement, l’élite politique et la propagande politique continueront de blanchir les crimes communistes et de glorifier le régime totalitaire soviétique; [le parlement européen] invite par conséquent la société russe à accepter son passé tragique »

Ce qui interpelle encore le plus, c'est que cette grossière falsification de l'histoire ait recueilli 82% des voix des parlementaires. Des élus belges, seul un (Marc Botenga, PTB) a voté contre, et 15 ont approuvé le texte. Venant de personnes telles que Frédérique Ries, Benoît Lutgen, Olivier Chastel, ... c'est assez naturel ; mais on retiendra donc que des prétendus "progressistes" style Phillippe Lamberts (Ecolo) ou Maria Arena (PS), n'ont apparemment aucun problème pour cosigner, notamment !, que "en adhérant à l’Union européenne et à l’OTAN, les pays d’Europe centrale et orientale ont non seulement pu retourner dans le giron de l’Europe libre et démocratique, mais ont aussi réussi à entrer dans une dynamique de développement socio-économique." Et encore merci à l’Otan…

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Commentaires   
#2 Roland Marounek 13-10-2019 09:09
On entend souvent cela : "le marxisme c'est bien en théorie, mais son application conduit à des catastrophes" ; c’est un des classiques de la propagande, qui est très efficace auprès d'une certaine gauche.

On peut bien sûr battre indéfiniment sa coulpe sur 'les crimes du communisme', mais il faut juste regarder les réalités objectives : qui peut vraiment nier que le socialisme en Russie a permis de faire sortir en quelques années le pays du féodalisme? Concrètement cela signifie la libération de millions de serfs, l'émancipation de millions et de millions de personnes sans grades, sans noms. Une catastrophe, vraiment ? L'aura qu'une telle émancipation a eu bien au-delà de l'Union Soviétique a été le plus grand problème de l’impérialisme au XXe siècle. Nous pouvons même en prendre conscience ici en voyant la régression sociale que nous subissons depuis l’effondrement de l’URSS.

Bien sûr que se parer du nom de 'communiste' ne signifie rien en soi. Les dit Khmers Rouges ont autant de rapport avec le socialisme que les fanatiques anti-hérétiques du Moyen-âge en ont avec les christianisme par ex.

Vous parlez de la Chine : c'est clair que le "socialisme à la chinoise" pose aujourd'hui beaucoup de questions. Mais à nouveau, si on arrive a se dégager des monceaux de propagandes, des ’40 millions de morts‘, du massacre de Tien-An-Men, et tant d’autres, on peut tirer une toute autre image: "Au début de la révolution chinoise, en 1949, la Chine est l’un des pays les plus pauvres et les plus arriérés au monde. La très grande majorité des Chinois travaillent dans l’agriculture (souvent primitive). Le PNB par habitant atteint la moitié de l’Afrique noire et un sixième de l’Amérique latine." Qu’on soit anti-communiste ou non, on ne peut juste pas nier que le socialisme en Chine, malgré les errements, malgré les questionnements, a concrètement tiré des centaines de millions de personnes de la misère et a propulsé le pays en quelques décennies en un pays des plus développés. Une catastrophe ?

Le cliché "Le marxisme c'est bien en théorie, mais il ne faut surtout pas l'appliquer" est en réalité un puissant outil démobilisateur : les combats pour renverser le capitalisme sont découragés, au profit d'un illusoire aménagement du système : n’est-il pas finalement 'le moins mauvais des systèmes' !
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#1 jean Peeters 12-10-2019 10:38
Personnellement, je n'aurai pas voté pour le texte du Parlement européen, car c'est une falsification de l'histoire. D'autre part, si l'analyse marxiste reste totalement valable, l'application et la création de divers partis communistes en ont falsifié le contenu. Les Khmers rouges au Cambodge, la Corée du Nord et surtout la Chine sont des exemples les + clairs du détournement du marxisme par des soi-disant partis communistes qui causent presque autant de misères que le capitalisme.
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